mercredi 29 mai 2013

Tous diplômés d'Harvard, le fantasme des MOOC

 LE MONDE | 29.05.2013
Nathalie Brafman Journaliste au Monde

MOOC en anglais, CLOM en français. Deux "vilains" acronymes pour qualifier ces enseignements de masse ouverts en ligne, qui ont déjà séduit des millions de personnes dans le monde. La France n'est pas épargnée. Faire entrer l'université dans l'ère du numérique est même l'une des mesures du projet de loi sur l'enseignement supérieur et la recherche de la ministre Geneviève Fioraso, voté en première lecture, à l'Assemblée, mardi 28 mai. Un plan d'action est en cours avec, à la clé, un fonds spécifique. Dix questions pour tout savoir sur les MOOC.


Effet de mode ou vraie révolution ? D'un point de vue pédagogique, mettre à disposition des savoirs en ligne n'a rien de révolutionnaire. Le Massachusetts Institute of Technology (MIT) le fait depuis quinze ans et l'Open University au Royaume-Uni a vu le jour en 1969... "La différence est que toutes les conditions sont réunies, aujourd'hui, pour le développement de ce type de cours", affirme Stephan Bourcieu, directeur général de l'école de management ESC Dijon-Bourgogne. Au-delà du réseau, les supports de diffusion (tablettes, Web TV, smartphones) sont performants, et les nouvelles générations ont le nez sur leur ordinateur !
Pour qui ? Pourquoi ? Rendre accessible à tous le savoir, notamment dans les pays en voie de développement, c'est la grande philosophie des MOOC. Ils seraient aussi une solution à l'endettement des étudiants aux Etats-Unis. "On prétend servir tout le monde, or cela n'existe pas. Avoir 100 000 étudiants ne signifie rien puisqu'on ne les connaît pasAvant de penser aux contenus, il faudrait définir les publics et les ambitions pédagogiques", critique Dominique Boullier, sociologue, professeur à Sciences Po et spécialiste des usages du numérique et des technologies cognitives.
Les trois grands, indétrônables ? Les deux premières plates-formes ont été imaginées par des professeurs de Stanford (Californie). Udacity a vu le jour en février 2012, suivie, en avril, par Coursera. Cette dernière a levé 16 millions de dollars (12,4 millions d'euros) et propose 250 cours de grands noms d'universités et de professeurs, à plus de 3 millions d'inscrits.
A la même époque, le MIT et l'université Harvard (Massachusetts), vite rejoints par Berkeley (Californie), ont lancé edX. Aujourd'hui, difficile de lancer un MOOC sans être référencé sur l'une ou l'autre de ces plates-formes même si de plus petits acteurs se développent. "Demain, ce sera la compétence [contre] le prestige. Des professeurs compétents qui n'enseignent pas dans des établissements prestigieux pourront devenir de véritables stars de la Toile", prédit Matthieu Cisel, doctorant sur les MOOC à l'Ecole normale supérieure de Cachan (Val-de-Marne).
Des diplômes à la portée de tous ? Pour l'instant, la seule façon d'être diplômé d'une université, c'est d'être assis dans une salle d'examen et de plancher sur un sujet. Mais les plates-formes proposent des certificats reposant sur des quiz. Chez Coursera, une certification de base gratuite mais qui n'a aucune valeur est proposée, ainsi qu'un certificat biométrique (vendu entre 30 et 100 dollars selon les cours). Il permet d'identifier l'étudiant grâce à une photo biométrique et un deuxième filtre, le typing pattern, la manière dont on tape sur son clavier.
EdX et Udacity ont, elles, opté pour la certification en présentiel et signé avec Pearson Vue qui possède 4 000 centres d'examen dans 170 pays. Des expérimentations sont en cours pour mettre au point une correction aussi fine qu'un correcteur en chair et en os.
Sans certification, pas de MOOC ? La certification serait-elle la seule finalité du MOOC ? Pas si sûr. C'est comme à l'université, il y aura aussi des auditeurs libres. Ceux qui viennent juste pour apprendre. On constate déjà qu'entre les inscrits et ceux qui vont au bout, la perte est énorme. Mais pour M. Cisel, "nous sommes dans un changement de paradigme où les études ne vont plus servir forcément à obtenir un diplôme". Et pourquoi ne pourrait-on pas écrire sur son CV que l'on a obtenu une certification pour tel ou tel MOOC ? "On dit bien que l'on a gagné un concours de plaidoirie", lance Bruno Dondero, directeur du Centre audiovisuel d'études juridiques des universités de Paris, qui va lancer un MOOC de droit des entreprises à la rentrée.
Philanthropie contre profits ? A première vue, faire profiter à la terre entière des cours en ligne est plutôt louable. La réalité est un peu moins rose. Coursera n'accepte que les établissements prestigieux qu'elle connaît. Centrale Lille en a fait les frais : son MOOC lancé en avril a été retoqué. L'objectif de Coursera est commercial, elle prend la quasi-totalité des revenus de la vente de certificats biométriques et 80 % des profits. Elle veut vendre les bases de données des étudiants inscrits à ses cours à des chasseurs de têtes. EdX se place plus comme un détecteur de talents.
Les limites ? Quelque 200 000 étudiants ont suivi un cours d'archéologie chez Udacity... "Plus un cours en ligne est suivi, plus l'interactivité avec le professeur est réduite. Si c'est de la vulgarisation, tout le monde pourra suivre. Mais si le cours est très technique, la plupart abandonneront",insiste M. Bourcieu.
La France, en retard ? En France, les MOOC sont encore confidentiels mais de nombreux établissements y réfléchissent. Centrale Nantes et Télécom Bretagne ont été les premiers à lancer leur MOOC ; et Centrale Lille la première avec certificat. Près de 3 600 étudiants ont suivi le cours "ABC de la gestion de projet", 1 330 ont validé le certificat de base et 440 le certificat avancé. En septembre, Polytechnique, qui a rejoint la plate-forme Coursera proposera trois cours.
La fin des amphis ? C'est plutôt un nouveau mode d'apprentissage. Au lieu de venir en cours, d'écouter le professeur, les étudiants pourront travailler en amont. En cours, l'enseignant pourra répondre aux questions...
Grâce à ces universités en ligne, les professeurs devraient pouvoir libérer du temps pour leurs étudiants.
Le savoir aux mains de quelques géants ?
"Aujourd'hui, le cours sur l'histoire du monde depuis 1750 de Duke University [Caroline du Nord] enseigne à l'ensemble de la planète la Révolution française. C'est problématique", avoue M. Cisel. La France doit se positionner. "Sinon, on risque d'avoir quelques entités, qui auront la main sur la diffusion des savoirs au niveau mondial", s'inquiète Claude Kirchner, délégué général à l'Institut national de recherche en informatique et automatique.