mercredi 27 mars 2013

Les MOOCs à l'assaut du mammouth

LE MONDE | 25.03.2013

Les 3 et 4 mars, les présidents de deux éminentes universités américaines, Harvard et le MIT (Massachusetts Institute of Technology), ont convoqué à Boston un "sommet" sur "l'enseignement en ligne et l'avenir de l'éducation en résidence". Quelque 200 experts se sont réunis pour écouter les communications des pionniers du secteur, et ont échangé leurs opinions dans des panels interactifs.

Quelques esprits chagrins n'ont pas manqué de relever l'ironie de l'affaire : pour évoquer les bienfaits de la révolution de l'enseignement virtuel, ces sommités ont eu besoin de se retrouver physiquement. De se rencontrer. De parler. De dîner ensemble. Et l'idée de mettre en ligne un enregistrement vidéo de l'événement, que l'on puisse regarder à Bangalore ou à Oulan-Bator, ne leur est même pas venue. Cette révolution annoncée avec tant de battage ne serait-elle pas un peu surfaite ?

Lancé par l'irruption sur Internet, il y a plus d'un an, de plateformes de distribution de cours universitaires à l'échelle mondiale, le débat sur les MOOCs est aujourd'hui à la mesure de l'attrait qu'ils exercent : énorme. MOOC : Massive Open Online Courses. En français, cela donne quelque chose comme : enseignement de masse ouvert en ligne (en l'absence, pour l'instant, de sigle français normalisé, nous nous tiendrons ici à celui des MOOCs.) Il s'agit de cours dispensés gratuitement sur Internet par les meilleures universités et mis à la disposition de toute personne qui a soif d'apprendre, à travers le monde, par une poignée d'entreprises créées à cet effet. Les plus connues, nées comme il se doit dans la Silicon Valley à l'ombre de Stanford, s'appellent Coursera et Udacity. Harvard et le MIT ont fondé ensemble une start-up à but non lucratif, edX, qui a la même mission.
Pour avoir une idée de la vitesse à laquelle se propage ce phénomène, il suffit d'aller sur le site de Coursera et de regarder le nombre d'inscrits : plus de 3 millions d'étudiants. En novembre 2012, ils étaient 1,7 million. Coursera propose aujourd'hui 329 cours, produits par 62 universités. La plupart sont américaines, mais elles ont été rejointes par des institutions britanniques, allemandes, de Barcelone, de Hongkong ou de Singapour. Une seule française y participe : l'Ecole polytechnique.

En quoi ces cours sont-ils "révolutionnaires" ? Ils dépassent le stade de la simple diffusion d'une leçon à distance. Comme le dit Bill Gates avec bon sens, pour cela, "il y a aussi les manuels".

Les MOOCs sont au CNED français (Centre national d'enseignement à distance) ce que l'A380 est au bimoteur de l'Aéropostale. C'est une autre expérience, mise à la portée du plus grand nombre. N'importe quel étudiant de Lagos ou de Lahore ayant accès à Internet peut s'inscrire, suivre un cours d'algorithmes de l'université de Princeton, échanger avec les autres étudiants suivant le même cours, faire les travaux requis et obtenir des notes, accordées par un système informatique de co-évaluation. S'il va jusqu'au bout du cours, l'étudiant de MOOC obtiendra non pas un diplôme de Princeton ni même les crédits qu'il aurait obtenus s'il avait suivi le même cours sur le campus, mais un certificat délivré par Coursera. Les cours sont gratuits mais l'obtention du certificat est payante. Coursera propose aussi aux étudiants certifiés un service de placement, payant.
Les deux fondateurs de Coursera, Andrew Ng et Daphne Koller, sont des spécialistes de l'intelligence artificielle à Stanford. Ce qui les intéresse, c'est de "réformer l'éducation au moyen de la technologie" : avec un champ expérimental d'une telle ampleur, Andrew Ng pense pouvoir détecter des tendances comportementales chez les étudiants susceptibles de modifier le travail des instructeurs. Pour l'heure, l'avantage immédiat de ces cours est une immense démocratisation du savoir. Des cours de très haut niveau jusqu'ici réservés à quelques élites sont désormais offerts à tous. Le savoir, que la présidente de Harvard, Drew Faust, définit comme"la monnaie du XXIe siècle", se trouve ainsi totalement mondialisé.

Pour autant, la "révolution" annoncée est loin d'être accomplie et les esprits chagrins ne sont pas les seuls à mettre en garde contre ce nouveau type d'"exubérance irrationnelle" qu'elle suscite. Le phénomène pose de vraies questions : quel est le rôle de l'instructeur ? Les petites universités seront-elles, à terme, menacées ? Quel sera l'impact sur l'emploi des enseignants ? Qu'apprennent vraiment les étudiants, au-delà du certificat obtenu ? En quoi cela change-t-il le travail des institutions universitaires qui, au-delà de l'enseignement, conservent l'une de leurs fonctions essentielles, la recherche ? L'interaction physique entre le professeur et l'élève, d'une part, et entre les étudiants, d'autre part, n'est-elle pas indispensable ?

Au Forum économique de Davos, fin janvier, le sujet a fait fureur. On y a même produit un petit prodige de 12 ans, pur produit des MOOCs, une jeune Pakistanaise aussi intarissable sur la robotique que Mozart à 6 ans sur les menuets. Pas si vite, ont averti Bill Gates et Larry Summers, ex-président de Harvard. Pour ce dernier, les MOOCs "vont profondément transformer l'éducation, de toutes sortes de manières, à un point que nous ne pouvons même pas imaginer". Mais pour qu'un procédé soit révolutionnaire, il faut deux étapes : d'abord qu'il fasse mieux ce qui a été fait jusque-là, puis qu'il modifie radicalement ce qui se fait. Et là, "nous n'en sommes qu'à la première étape".

Bill Gates, lui, considère que deux "révolutions préalables" doivent se produire pour que les MOOCs deviennent vraiment "énormes" : celle de la certification du savoir, et celle de la qualité des cours. Pour l'instant, dit-il, on trouve de tout en ligne. Le phénomène ne deviendra réel qu'au prix d'un processus de sélection "assez brutal", d'ici "quatre ou cinq ans".

Pour les universités françaises, le réveil risque aussi d'être "assez brutal". Coursera a annoncé la mise en ligne de cours non plus seulement en anglais, mais aussi en espagnol et en français. Cette concurrence virtuelle, si elle se confirme, pourrait les contraindre à évoluer, aussi puissamment que la technologie.

kauffmann@lemonde.fr