lundi 28 novembre 2011

L'autonomie révèle la misère des universités

Le Point, 29 novembre 2011

Depuis une dizaine de jours, un désordre sans nom règne sur l'université. À l'heure où les conseils d'administration doivent voter leur budget 2012, certaines facs peinent en effet à présenter des bilans à l'équilibre.

Nantes parle d'un déficit de 4 millions, Limoges 3 millions, Pau 2 millions, Bretagne-Sud 1,2 million d'euros... Les chiffres sont alarmants.

Tout commence le 17 novembre 2011 avec un communiqué du ministère de l'Enseignement supérieur. Le message de Laurent Wauquiez se veut rassurant : l'université va bien, merci, "la grande majorité des établissements est en bonne santé financière". Petit bémol toutefois, on apprend dans le même communiqué que huit établissements ont des problèmes, et qu'en déficit pour la seconde année consécutive, ce sont les recteurs qui arrêteront désormais leurs budgets. Un "comité des pairs" formé par deux anciens présidents d'université les aidera à remonter la pente. Depuis, c'est la pagaille. N'est-ce pas justement le nerf de l'autonomie - ô combien défendue par le gouvernement - que de pouvoir gérer son budget ?

Huit universités sortent du chapeau

Quels sont les établissements concernés ? On a bien quelques idées, mais, dans un premier temps, la liste reste un mystère. Le ministère refuse de communiquer, les établissements tremblent. Puis, le 23, un second communiqué vient mettre un terme à une semaine de cafouillage.

Huit noms sortent du chapeau :
- l'UMPC (Université Pierre et Marie Curie),
- Paris XIII-Villetaneuse,
- Limoges,
- l'université de Savoie,
- Nice-Sofia-Antipolis,
- Bordeaux III,
- l'Insa de Rouen
- l'ENS Cachan.

Si certains présidents, comme Jacques Fontanille à Limoges ou Patrice Brun à Bordeaux, reconnaissent de graves problèmes budgétaires, les autres tombent des nues. Et ne tardent pas à contester la liste. Sophia-Nice-Antipolis en effet assure être en excellente santé financière. Quelques heures plus tard, le ministère revient sur ses pas et retire l'université de Méditerranée de la liste. Erreur, "après réexamen des comptes, l'université n'est pas en déficit en 2010"...

En cause, les nouvelles règles comptables instaurées par la loi sur l'autonomie des universités, qui ne tiennent pas compte dans la dotation de l'État pour rémunérer les fonctionnaires des évolutions de carrière, et donc des augmentations de salaire liées à l'ancienneté ou à la promotion.

Résultat : la masse salariale augmente, mais... pas les budgets alloués à l'Enseignement supérieur ! Mi-novembre, Laurent Wauquiez évoquait une rallonge de 14,5 millions d'euros d'ici fin 2011. Mais selon la Conférence des présidents d'université (CPU), il manquerait "entre 15 et 20 millions pour compenser l'augmentation des salaires due à la pyramide des âges".

À quoi joue le ministère ?

À quoi joue donc le ministère ? C'est la question que se posent plusieurs établissements, pris de cours par la décision de mise sous tutelle.

L'UPMC, première université française dans le classement de Shanghaï jusqu'en 2010, confie à l'AFP qu'à aucun moment le fonctionnement normal de l'université n'a été mis en danger.

"La situation financière, déjà régulée en 2011, sera maîtrisée en 2012 par une diminution des investissements conduisant à l'équilibre budgétaire", indique la présidence.

Même combat pour l'université de Savoie. Cette fois-ci, ce sont les deux années de déficit consécutives qui sont contestées : "Si les comptes de l'exercice 2009 font apparaître un déficit de 1 771 599 euros, en revanche, ceux de l'exercice 2010 dégagent un excédent de 1 415 341 euros. Il n'y a donc pas deux exercices successifs négatifs", s'indigne le président Gilbert Angéneux.

Jean-Yves Mérindol, le directeur de l'ENS Cachan, dénonce, quant à lui, le "manque de responsabilité" du ministère. "À ce jour, personne ne nous a tenus informés de cette décision. Nous l'avons apprise par communiqué et par les médias." À Cachan, les difficultés financières ne datent pas d'hier. Depuis 2004, l'école tire la sonnette d'alarme. En 2010, une inspection confirme les dégâts et un dialogue se met en place pour tenter de redresser la situation. Mais l'école rame pour obtenir des moyens de la part du ministère.

Aujourd'hui, Jean-Yves Mérindol invalide la décision de mise sous tutelle. Pour une raison simple : son établissement, dépendant du rectorat et non du ministère, n'est pas concerné par la mise en place du comité des pairs. Une question se pose toutefois.

Le passage au RCE (responsabilités et compétences élargies) est-il la cause des difficultés de certains établissements ? Pour le président de Cachan, il est encore trop tôt pour se prononcer. Mais une chose est sûre, les problèmes de déficit et les dysfonctionnements se révèlent à l'occasion de ce passage.

Un exemple ? "L'université délivre doctorats et diplômes, mais doit demander une autorisation pour attribuer la licence. Cela n'a aucun sens !" s'insurge-t-il.
"L'État n'a pas assumé ses compétences" (Cour des comptes)

Pas plus de sens d'ailleurs que la gestion des travaux de désamiantage qui attise la polémique à l'UPMC et son campus de Jussieu. La Cour des comptes dénonce en effet, dans un rapport daté du 17 novembre, "un dérapage financier" qui sera porté devant la Cour de discipline budgétaire.

Le vaste chantier de réhabilitation du campus universitaire devait durer trois ans et coûter 183 millions d'euros. Aujourd'hui, quinze ans plus tard, les échafaudages sont toujours là et l'enveloppe budgétaire a été multipliée par dix ! À qui la faute ? Peut-être à l'absence de coordinateur. C'est en tout cas ce que suggère le rapport. La Cour met en cause l'État, coupable d'avoir pris ses décisions au coup par coup. "Il n'a pas assumé ses compétences, il s'est même déjugé", a affirmé le président Didier Migault.

Manque de chance, c'est justement ce moment qu'a choisi l'Association européenne des universités pour publier son classement sur les niveaux d'autonomie. Et la France ne brille pas par ses performances, loin de là...

En bas du tableau, elle arrive à la 16e place sur 28 en ce qui concerne l'autonomie administrative, à la 22e en matière d'autonomie financière, et sombre littéralement en 27e et dernière position pour la gestion des ressources humaines et l'autonomie académique.

Le ministère a réagi à ce piètre classement, défendant un "modèle français d'autonomie". En clair une autonomie où les présidents d'université n'ont pas la main sur le nombre d'étudiants, la masse salariale, ou l'entretien de leur bâtiments... Wauquiez assume.

jeudi 17 novembre 2011

Ce que coûte la France aux étudiants étrangers

Le Monde, 17 novembre 2011

Les étudiants étrangers sont les bienvenus dans les grandes écoles françaises, mais ils sont priés de passer à la caisse d'abord. Rares sont en effet les établissements dont les frais d'inscription ne sont pas majorés pour les candidats hors Union européenne.

A HEC, le coût par an pour les étrangers est fixé à 17 500 euros, contre 11 900 euros pour les Français et 13 200 euros pour les Européens. L'ESCP (école de commerce à Paris) propose un cursus à 15 500 euros par an (11 500 euros pour les ressortissants de l'UE). A Sciences Po Paris, les droits sont de 13 000 euros en master. "Même les écoles publiques d'ingénieurs se débrouillent pour faire payer plus cher", commente Pascal Codron, directeur de l'Institut supérieur d'agriculture de Lille et responsable de la commission des relations internationales de la Conférence des grandes écoles (CGE).

L'astuce consiste généralement à créer des filières spécifiques permettant la mise en place de droits plus élevés que dans les parcours classiques. Certes, au regard des prix pratiqués par les établissements anglo-saxons, la France reste compétitive. Mais, pour de jeunes Chinois, Indiens ou Brésiliens, le coût peut être prohibitif.

Afin de pallier cet éventuel frein financier, des dispositifs d'aide sont proposés par le gouvernement français. La bourse Eiffel est le plus intéressant. Véritable Graal des étudiants étrangers d'excellence, elle concerne chaque année environ 400 étudiants en master et en doctorat, dont une majorité en grande école, indique Bertrand Sulpice, directeur adjoint d'Egide, l'organisme chargé de la gestion des aides du ministère des affaires étrangères. Pour pouvoir obtenir cette bourse de 1 100 euros par mois, l'étudiant doit être sélectionné par son établissement d'accueil, qui lui seul est habilité à présenter les dossiers de candidature.

Les jeunes Asiatiques partent avec un avantage. Le programme cible en effet les pays émergents ou à fort potentiel scientifique universitaire, dont font partie ceux d'Asie, souligne Bertrand Sulpice. En 2011, on comptait ainsi 93 étudiants chinois parmi les 400 boursiers du niveau master, et 48 % d'Asiatiques boursiers.

Autre outil d'attractivité, les bourses Quai d'Orsay-Entreprises. Les étudiants, sélectionnés par les entreprises conventionnées (qui sont 62 à ce jour, implantées dans 38 pays, dont notamment Thales, Orange, DCNS, Alten, Crédit agricole, Air liquide), se voient attribuer une bourse de plus de 1 000 euros par mois pour venir étudier dans un établissement français. A la clé également pour les élus, un stage dans l'entreprise qui les parraine.

Ces parcours d'études cofinancés concernent surtout les sciences de l'ingénieur, mais aussi les écoles de commerce et les sciences fondamentales. Depuis 2006, date de sa création, 131 étudiants ont bénéficié de ce programme sur mesure.

Egalement accordées par le gouvernement français, les bourses réservées aux étudiants étrangers. Plus importantes que celles du Crous pour les Français, elles visent, explique Bertrand Sulpice, "à couvrir toutes les dépenses d'un séjour d'études". Attribuées en fonction de projets précis qui s'intègrent dans des programmes de coopération établis selon des priorités gouvernementales, elles doivent être demandées par les étudiants en amont de leur départ auprès de l'ambassade de France dans leur pays d'origine.

A noter, par ailleurs, l'existence d'aides à la mobilité octroyées par certains pays à leurs meilleurs élèves ou par des organisations comme le Rotary club, la Commission franco-américaine (cette dernière délivrant les célèbres bourses Fullbright) ou encore par la Commission européenne à travers le programme Erasmus Mundus. Des collectivités, comme la Ville de Paris notamment, disposent elles aussi de budgets ad hoc. A noter, le site Internet de CampusFrance (Campusfrance.org) recense l'ensemble de toutes les bourses.

Hormis ces dispositifs, qui ne concernent finalement qu'une minorité des quelque 30 000 étudiants étrangers inscrits dans les grandes écoles françaises (chiffres 2009 de la CGE), il existe toute une gamme d'aides extrêmement variables d'un établissement d'accueil à l'autre. Sciences Po Paris, avec ses bourses d'excellence Emile-Boutmy de plus de 7 000 euros par an, est à ce titre l'un des plus généreux, mais nombreuses sont les écoles qui prévoient d'accorder des coups de pouce à quelques élèves triés sur le volet.

Difficile en effet aujourd'hui de ne rien proposer aux meilleurs éléments, tant le marché est devenu compétitif sur un plan international. L'ENSCBP (Ecole nationale supérieure de chimie, biologie et physique de Bordeaux), qui peinait à attirer des étudiants étrangers, l'a bien compris. Ainsi, elle a créé en 2010 un prix d'excellence international de 5 000 euros qui récompense chaque année un lauréat choisi parmi les candidats désireux de suivre sa formation dans ses murs.

Les établissements tentent enfin de mettre l'accent sur l'accueil de ces recrues si précieuses. Egide, dont le rôle ne s'arrête pas à la gestion des bourses, peut à ce titre être sollicité. L'initiative est née d'un besoin exprimé par l'Ecole polytechnique, explique Bertrand Sulpice. Afin de pouvoir apporter une réponse adaptée à l'établissement, l'opérateur a conçu une prestation inédite. Le principe : aller à la rencontre des étudiants et les éclairer sur des sujets tels que le système de sécurité sociale étudiante, les mutuelles complémentaires ou encore les titres de séjour. Depuis, d'autres établissements font appel à Egide, qui peut également aider à la recherche d'un logement ou bien accueillir les étudiants à l'aéroport. Des services payants, facturés aux écoles ou aux étudiants.

Toutes ces incitations, qu'elles viennent du gouvernement français ou des établissements eux-mêmes, sont de nature à renforcer l'attractivité des écoles françaises. Toutefois, préviennent Pascal Codron et Bernard Ramanantsoa (directeur général du groupe HEC), la menace qui pèse sur la venue des meilleurs dans l'Hexagone n'est pas le coût des études, mais la circulaire Guéant qui, depuis le printemps 2011, prévoit de réduire le nombre de visas de travail accordés à ces étudiants. "L'inquiétude est immense, et le risque de voir nos efforts anéantis réel", s'alarme le directeur de HEC.