vendredi 5 février 2010

Le Nobel George Smoot à Paris-VII, un bon point pour l'université française

LE MONDE | 05.02.10

C'est un très beau "coup" que vient de réaliser l'université Denis-Diderot (Paris-VII). Mardi 2 février 2010, le Prix Nobel de physique 2006, George Smoot, a rejoint l'établissement parisien.

Spécialiste de cosmologie, cette science qui étudie la naissance de l'Univers, le physicien intègre le laboratoire astroparticules et cosmologie (APC) que partage l'université Paris-VII avec le CNRS, le CEA et l'Observatoire de Paris.

L'arrivée d'un Prix Nobel signifie-t-elle que les universités françaises ont désormais les moyens d'attirer les meilleurs ? Si ces établissements sont bel et bien engagés dans la compétition mondiale, ils recrutent déjà assez régulièrement, à bas bruit, les meilleurs spécialistes. Et parfois sans débauche de moyens.

Pour attirer George Smoot, Paris-VII n'a pas dû casser sa tirelire. A 64 ans, le Prix Nobel est recruté sur un poste de professeur de première classe (environ 4 500 euros brut mensuels), un salaire faible par rapport à ce qu'il pouvait gagner auparavant.

Le chercheur s'offre avant tout un dernier challenge scientifique, celui d'établir un centre de cosmologie, en lien avec celui de Berkeley, l'université où il a fait toute sa carrière.

"George Smoot nous a rejoints l'an dernier comme professeur associé. Puis fin 2009, nous avons eu l'opportunité de le recruter. S'il vient, c'est que nous mettons à sa disposition des infrastructures de très haut niveau", explique Vincent Berger, le président de l'université Paris-VII.

"En plus de ses recherches, il souhaite enseigner tant en licence qu'en master. C'est extrêmement motivant pour les étudiants", ajoute M. Berger. Cependant, poursuit-il, "ce recrutement ne s'inscrit pas dans une stratégie globale de l'université".

En revanche, d'autres universités françaises mettent, elles, en place des stratégies pour recruter dans leurs disciplines phares des chercheurs de grande renommée. Pour les attirer, elles comptent non seulement sur la qualité de vie française (jamais négligeable) et le haut niveau de leurs équipes de recherche ; mais aussi sur les outils, mis à disposition par l'Etat.

Tout d'abord, les universités ont gagné en réactivité grâce à la loi d'autonomie. Si la venue d'un chercheur se planifie en général sur un ou deux ans, la LRU a permis aux établissements de répondre vite à une opportunité, comme celle que vient de connaître Paris-VII.

Par ailleurs, le gouvernement finance des chaires d'excellence, à hauteur de plusieurs centaines de milliers d'euros via l'Agence nationale de la recherche (ANR), ainsi que des primes d'excellence.

Si ces dernières sont contestées dans une partie de la communauté universitaire, elles peuvent être un argument financier supplémentaire dans une négociation. Les universités recourent enfin à des chaires d'entreprises ou des partenariats avec une fondation, qui pourront, si besoin, compléter le salaire des recrues...

C'est que dans certaines disciplines comme l'économie, la physique, la biologie ou la médecine, la concurrence nord-américaine et, désormais, de plus en plus européenne, est féroce. Toute la différence pour attirer un enseignant confirmé ou prometteur se fait alors sur le "package" offert. Ici, le salaire ne fait pas tout.

Tous les à-côtés comptent : décharge horaire d'enseignement, primes, logement, moyens du laboratoire, post-doctorants mis à disposition, etc.

En pointe ces dernières années, l'université Toulouse-I-Capitole, et son Ecole d'économie (Toulouse School of Economics, TSE), s'est dotée d'un arsenal complet pour être compétitif et recruter des "pointures" comme, dernièrement, l'Allemand Christian Hellwig qui viendra en septembre de Berkeley, ou les Français Augustin Landier, repris à la New York University, et Guillaume Plantin à la London Business School.

"Notre ambition est de faire partie des meilleurs centres de recherche mondiaux en économie et donc de recruter de potentiels futurs Prix Nobel", rappelle Christian Gollier, directeur de la TSE.

Pour cela, s'il n'est pas question de payer ces universitaires 150 000 à 200 000 euros annuels, comme certains de leurs concurrents le proposent, l'établissement avance d'autres avantages.

Via sa fondation, aujourd'hui dotée de 77 millions d'euros, TSE mène une politique de primes à la publication des articles dans les meilleures revues scientifiques, l'un des nerfs de la compétition académique mondiale. Elle procure de même, grâce à l'institut d'économie industrielle (IDEI), des contrats de recherche.

Enfin, l'école s'assure de la venue de ses chercheurs en les pré-recrutant sur contrat privé, "le temps qu'ils remplissent toutes les démarches pour devenir professeur ou directeur de recherche", complète M. Gollier.

Alors que la majorité des universitaires ne sont pas convaincus par ces méthodes, le directeur de TSE justifie : "Sans cette politique, Toulouse ne serait pas sur la carte mondiale en économie. Ses chercheurs seraient aujourd'hui partout, sauf ici."

Philippe Jacqué