jeudi 28 janvier 2010

Des établissements français parmi les premiers mondiaux ? C'est possible

, par Monique Canto-Sperber; LE MONDE | 28.01.10

L'investissement massif dans l'enseignement supérieur que permettra le grand emprunt a pour objectif de donner aux établissements français une meilleure visibilité internationale et de les placer parmi les premiers mondiaux (ce fameux "classement de Shanghaï" !). Pour y parvenir, il faut renoncer d'emblée à l'uniformité et aux idées préconçues.

Une première erreur doit être dissipée. Le partage entre grandes écoles et universités qui a tant d'importance pour nous, Français, n'en a aucune à l'échelle du monde.

Lorsque nos collègues américains, britanniques ou japonais s'intéressent aux établissements d'enseignement supérieur français, lorsque les responsables du University Ranking de l'université Jiao Tong, à Shanghaï, ou ceux du Times Higher Education s'attachent à les classer, la différence entre grandes écoles et universités ne les occupe aucunement.

Le plus souvent ils l'ignorent. La seule chose dont ils se soucient, c'est de savoir quels sont les établissements français qui peuvent être ce que le monde entier appelle une "research university", une "université de recherche". Car seule une université de ce type peut nourrir la prétention de figurer dans ces classements.

Une "université de recherche", qu'est-ce donc ? C'est un établissement d'enseignement supérieur qui compte un pourcentage important d'étudiants en master et en doctorat (ce que beaucoup d'établissements dans le monde appellent "graduate students"). C'est un établissement qui abrite une importante recherche par rapport au potentiel de formation et où la grande majorité des étudiants de master entrent en doctorat.

En France, quelques universités sont à l'évidence de ce type, ainsi que quelques grandes écoles qui sont, en raison de leur fort engagement vers la recherche, très comparables aux universités de recherche françaises.

Ces "universités de recherche" françaises sont identifiées, pour certaines, parmi les premières des classements du Times et de Shanghaï.

Pour mémoire, ce sont, dans le classement de Shanghaï 2009, l'université Pierre-et-Marie-Curie, l'université Paris-XI, l'Ecole normale supérieure et l'université de Strasbourg, et, dans le classement du Times, l'Ecole normale supérieure, l'Ecole polytechnique, l'université Paris-VI, pour l'essentiel des établissements de Paris ou de la région parisienne. Il y a, en France, d'autres universités de recherche que celles-là, mais ces classements donnent des indications utiles.

Si l'objectif que veut atteindre la dotation en capital donnée à une dizaine de campus d'excellence dans le cadre du grand emprunt est, comme l'a dit le président de la République, de "créer des pôles de visibilité mondiale", la meilleure méthode est donc de miser sur ces établissements qui sont des "universités de recherche" et de leur permettre de façonner les groupements qui correspondent à leur projet.

Les missions de l'université sont loin de se réduire à celles que poursuivent les universités de recherche. Elles sont d'abord de dispenser, à tous les étudiants, une formation aussi solide que possible et qui soit, pour eux, un atout réel dans la recherche d'un emploi.

Mais que cette mission de l'université soit reconnue, valorisée et considérablement soutenue n'empêche de considérer que quelques établissements d'enseignement supérieur, en France, ont aujourd'hui une pratique différente, qui les engage d'emblée vers la recherche et l'innovation et peut les rendre, pour cette raison, comparables aux meilleurs établissements mondiaux.

Pour "créer des pôles de visibilité mondiale", plusieurs des critères habituellement utilisés pour évaluer les groupements universitaires doivent être repensés, en particulier le critère du nombre total d'étudiants, même s'il n'est pas le seul décisif.

Ce n'est pas parce qu'un groupement d'universités compte 100 000 étudiants qu'il a une chance de devenir un "pôle mondial". Ce qui importe surtout est qu'il compte, au moins, 4 000 à 5 000 "graduate students" de très bon niveau.

C'est donc plutôt le pourcentage d'étudiants en master et doctorat, par rapport au nombre total d'étudiants, qui donne une bonne indication de l'orientation vers la recherche.

L'université Harvard compte 16 000 étudiants (dont 5 000 graduates), celle d'Oxford 16 000 (dont 6 000 graduates), celle de Princeton 5 500 (dont 3 000 graduates) et ce sont les meilleures universités du monde.

Une autre donnée peu pertinente a trait au statut des établissements, ainsi qu'à une règle de répartition entre Paris et la province. En revanche, les critères à retenir sont ceux qui mesurent les performances de recherche, de formation, ainsi que l'engagement dans la valorisation des résultats de la recherche.

Il existe des critères objectifs qui permettent d'évaluer l'importance et l'excellence de la recherche menée au sein d'une "université de recherche" française, ainsi que sa qualité de la formation.

Ce sont, pour la recherche, le pourcentage de laboratoires au meilleur niveau mondial, le taux de publication des chercheurs, le taux de succès des candidatures à l'Agence nationale de la recherche, à l'European Research Council, les distinctions internationales de chercheurs ; et, pour la formation, le pourcentage d'étudiants qui, après le master, s'orientent vers le doctorat, les débouchés professionnels des anciens élèves, le taux de réussite aux agrégations, le taux d'anciens élèves ayant reçu les plus prestigieuses distinctions nationales et internationales.

Quelques universités font une remarquable recherche, quelques grandes écoles aussi. Ce sont des "universités de recherche". Beaucoup de grandes écoles font moins de recherche, c'est le cas aussi de quelques universités. Au moment où les établissements français ont, pour la première fois, la possibilité de voir leur valeur reconnue et de se hisser parmi les premiers, il n'y a pas lieu de se laisser embourber dans les particularités françaises.

L'histoire de nos institutions est ce qu'elle est, ce serait une perte d'efficacité de chercher à couler la diversité qui en résulte dans une uniformité qui, du reste, n'existe nulle part ailleurs, où les universités de recherche sont, indifféremment, des universités privées, des universités d'Etat, des écoles ou des instituts.

Pour créer, en France, des pôles de visibilité mondiale, il faut miser, grâce à la dotation campus, sur les établissements qui sont les premières "universités de recherche" françaises, et s'assurer que le groupement que chacun propose permette une gouvernance solide et fiable.

Mais, en retour, les exigences formulées à l'égard de ces campus doivent être précises et fortes : maintenir l'excellence de leurs laboratoires de recherche, ouvrir des voies nouvelles de recherche et de formation, diffuser leur modèle de formation auprès des établissements voisins.

La dotation campus d'excellence ne doit pas figer un état de choses pour toujours. Il faut que tous les établissements universitaires qui souhaitent se transformer progressivement en "université de recherche" puissent y parvenir et s'inscrire dans un campus d'excellence.

Si l'on veut rapprocher grandes écoles et universités, il y a une chose à faire : donner à tous les établissements qui peuvent y prétendre la même qualification d'"université de recherche". La France serait alors en phase avec ce qui se pratique dans le reste du monde.

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Monique Canto-Sperber est directrice de l'Ecole normale supérieure.