jeudi 7 janvier 2010

Boursiers : la réticence des grandes écoles est indigne !

par Alain Minc et François Pinault
LE MONDE | 06.01.10

Nous avons eu, l'un et l'autre, un haut-le-cœur en lisant la déclaration de la Conférence des grandes écoles sur les 30 % de boursiers. Que deux individus aussi différents – indépendamment de l'amitié qui nous lie – réagissent ainsi est peut-être révélateur !

Autodidacte et major de l'ENA, entrepreneur et intellectuel, capitaliste et technocrate – ce que nous sommes –, nous avons eu le même réflexe d'indignation.

Comment peut-on dans la société contemporaine être aussi réactionnaire ? Comment croire que le niveau des concours doit être intangible afin de fixer à jamais une hiérarchie entre jeunes Français à l'âge de 20 ans ?

PROMOTION SOCIALE

Comment ne pas comprendre que l'équilibre de la société passe par le rétablissement de la promotion sociale et qu'à cette aune-là le respect absolu des modes de recrutement traditionnels est suicidaire ?

Quelle bonne conscience aveugle-t-elle les patrons de grandes écoles au point de leur faire croire que le système actuel de recrutement est la garantie absolue, pour la France, de disposer des meilleures élites ?

Nous ne nions naturellement pas la réussite, pendant des décennies, d'un mode de sélection qui a fourni à l'économie française des gestionnaires et des ingénieurs d'un excellent niveau international. Mais, parce que justement ce système est solide et efficace, il n'est pas menacé par une inflexion à la marge.

Qui peut imaginer que le rayonnement de l'Ecole polytechnique ou d'HEC disparaîtra parce que le recrutement aura été légèrement transformé à des fins de promotion sociale ? Ceux qui ont, en toute sérénité, signé ce manifeste méconnaissent le grondement qui vient du fond de la société. Ils ne mesurent ni les urgences ni les priorités du moment.

Ils pourraient au moins faire leur, à défaut d'une réaction plus ouverte, la philosophie du prince de Lampedusa : "Il faut que tout change pour que tout reste pareil."

Mais s'ils acceptaient d'aller plus loin et de mettre leur incontestable intelligence au service d'un minimum de changement social, ils penseraient qu'il faut qu'un peu change afin que tout change vraiment.


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Alain Minc, consultant et essayiste ; François Pinault, président d'honneur du groupe PPR.