mercredi 16 décembre 2009

Universités : pourquoi il faut proposer 50 milliards d’euros de dotation en capital

Universités : pourquoi il faut proposer 50 milliards d’euros de dotation en capital
24/11/2009 |

http://blogs.lesechos.fr//article.php?id_article=3254

Par Jacques Delpla

C’est probablement dans ce domaine que la Commission Grand Emprunt doit faire face à l’Histoire.

1 UNIVERSITES : POURQUOI IL FAUT PROPOSER 50 Md€ DE DOTATION EN CAPITAL

Une grande ambition pour nos universités : des dotations de 50 Md€ pour nos universités (sous conditions). La Proposition pratique est en page 3.
C’est probablement dans ce domaine que la Commission Grand Emprunt doit faire face à l’Histoire.

L’Histoire ne repasse les plats ou pour être plus élégant, saisissons aujourd’hui le KAIROS : nous avons été mandatés pour investir dans l’avenir et il n’y a pas plus bel et meilleur investissement que celui dans l’intelligence et l’éducation supérieure.

C’est la dernière chance avant la grande austérité budgétaire. Si la France ne fait pas un effort massif aujourd’hui en dotant significativement les universités avec le Grand Emprunt, alors la rigueur budgétaire à venir (avec ou sans règle budgétaire, il faudra revenir à l’équilibre budgétaire à moyen terme) risque d’étouffer l’université.

Si nous n’affichons pas la nécessité de doter aujourd’hui massivement les universités, notre commission n’aura pas su saisir la dernière occasion historique de rattrapage.

Une fois de plus, la crise actuelle promet des lendemains de rigueur budgétaire, sans dotation massive des universités aujourd’hui, l’université restera pauvre pendant au moins 2 générations.

L’université est l’une des priorités du quinquennat du Président de la République. Saisissons cette impulsion. Le/la prochain/e Président/e aura nécessairement une autre priorité : la réduction des déficits. L’université passera alors au second ou Nème plan.

Autant on peut trouver des arguments pour / contre des investissements publics dans certains marchés / secteurs que nous envisageons par ailleurs, autant pour les Universités tout plaide pour un effort massif de la Commission Grand Emprunt :

Le retard de l’enseignement supérieur français, pris dans son ensemble -même s’il y a des pôles d’excellence- est là pour nous le rappeler [1] . Si nous ne faisons pas un effort aujourd’hui, l’université française aura du mal à rattraper son retard.

La Faiblesse des budgets en faveur de l’enseignement en France, comparé aux États-Unis notamment (cf. les travaux de Philippe Aghion et Elie Cohen au CAE).

En France, les financements ne viendront pas du privé avant très longtemps.

Dotations en capital

Ici, pas besoin de réinventer la roue. Le bon modèle existe ailleurs : l’université (ou l’établissement d’enseignement supérieur) autonome avec une dotation en capital. Cela existe et fonctionne avec succès aux USA, à Oxford, Cambridge, LSE…

À la différence avec l’investissement en technologies X ou Y, ici il n’y a pas de risque financier significatif. Les dotations aux universités sont investies sur les marchés (avec prudence), et seuls les rendements de ces dotations sont distribués à la recherche et enseignement supérieur.

La distribution de ces revenus des dotations serait faite selon des critères d’excellence.

Aux États-Unis, les revenus privés (essentiellement issus des dotations) financent 35% des budgets des universités ; l’État (directement pour les Universités publiques ou via des contrats pour toutes les universités) finance 50% ; les frais d’inscription des étudiants financent le reste (15%).

Aux États-Unis, les dotations en capital des principales Universités sont de 300 Md€ au total (les 76 ayant une dotation > 1Md€), avec une forte inégalité (150 Md€ pour les 10 premières, 56 Md€ pour les 10 suivantes, 28 Md€ pour les 10 suivantes) [2]. Ces chiffres n’incluent pas les dotations hors universités (NSF, Institute of Advanced Studies).

En outre, il y a dans aux USA et en GB des agences de moyens avec de larges budgets annuels : ESRC en GB, NSF aux USA et les 30 Md$ de financement annuels de financement de la recherche en santé du National Institutes of Health (ce qui prorata en PPP ferait 4,5 Md€ pour la France, alors que le budget de l’INSERM est de 0,750 Md€ en 2009 ! ) [3].

En France, une dotation équivalente à celle des US serait au moins de 50 Md€ (pro rata PIB en PPP).

À la différence des déficits publics actuels (surtout des dépenses de fonctionnement et de transferts), une levée massive de fonds pour les universités (50 Mds) n’endette pas le pays de manière économique. En face de la dette brute de 50 Md€, il y a des actifs financiers de 50 Mds€, tangibles.

En cas de crise de financement, l’État pourrait toujours en dernier ressort vendre ces actifs. Les marchés le sachant comprendront l’utilité de cet endettement et ne s’en émouvront pas (surtout si les actifs sont vendables).

Donc, les revenus des dotations ne doivent pas financer de dépenses permanentes (de type dotations budgétaire inconditionnelle ou contrat de la fonction publique), afin de ne pas créer d’irréversibilité dans les dépenses.

2 UNIVERSITES : PROPOSITIONS

Notre commission doit proposer des objectifs de Grand Emprunt qui soient endogènes aux engagements du gouvernement par ailleurs et endogènes à la qualité des investissements :

· Proposons un Montant qui serait souhaitable en cas de vertu budgétaire (ou au moins de convergence vers). Quel devrait être le niveau de dotation souhaitable des universités françaises ?

· Et un Scénario faible : si le Gouvernement n’est pas capable de s’engager crédiblement à restaurer la vertu budgétaire.

Comment faire ? Comment le présenter ?

Une dotation de 50 Md€ est souhaitable pour les Universités Françaises pour les ramener à la frontière d’efficacité mondiale. À long terme, l’investissement dans l’éducation supérieure est le meilleur levier sur la croissance (voir les excellents rapports d’Elie Cohen et al. au CAE).

Si l’État ne sent pas capable de lever autant de dette (parce qu’il penserait que sa crédibilité budgétaire en serait réduite), alors ce devrait être moins. Combien ? La réponse à la cette question n’est pas du ressort de notre Commission, mais du Gouvernement et du Parlement à qui il revient d’apprécier la situation budgétaire d’ensemble ainsi que la dynamique de notre dette.

Cet argent serait géré directement par l’État (Trésor ou Banque de France pour le compte du Trésor [4] ). Les universités n’ont aucune compétence en la matière.

Si les universités géraient le capital en direct, à la première erreur de gestion ou fraude, le système global s’effondrerait sous les critiques externes. Par ailleurs, je présume que jamais le Parlement et/ou Bercy n’accepteraient des dotations massives aux universités s’ils savaient que celles-ci les géreraient en propre. Si Bercy et le Parlement savent qu’un jour ils peuvent reprendre le capital, ils seront moins réticents aujourd’hui à doter les universités de 50 Md€.

Enfin, en gestion d’actif, les frais sont importants, il y a des rendements d’échelle, même s’il faut éviter les monopoles (je suggérerais 3 ou 4 fonds différents logés au Trésor ou la BdF, pour favoriser la concurrence par comparaison et éviter l’effet FRR [5]).

Qui devrait recevoir ?

Les meilleurs lieux dans les établissements d’enseignement supérieurs en termes d’excellence dans la recherche : départements, labos, chercheurs… Il faut que ce soit à l’échelle de la revue des pairs : ceux-ci peuvent juger un chercheur, un labo, un département, mais pas une université dans son ensemble. Toujours avec des critères d’excellence.

Prendre comme récipiendaire essentiel l’université ou établissement supérieur, les fonds pourraient être ciblés sur les départements, mais affectés financièrement aux universités, qui garderaient un % de la dotation.

J’emploie ci après le terme d’« Université » pour établissement d’enseignement supérieur et de recherche.

Dotations non consomptibles. Seuls les revenus du capital iraient aux Universités.

Universités se verraient attribuer un capital notionnel, dont elles percevraient les revenus. Comme il faut toujours laisser la possibilité (théorique) aux majorités futures de revendre ce capital (condition pour avoir aujourd’hui une dotation de 50 Md€), les universités ne doivent recevoir que le revenus du capital et ne se voir attribuer que du capital notionnel (la vraie propriété du capital demeure celle du Trésor).

Cette attribution des revenus du capital doit se faire selon les meilleurs principes d’excellence et de gouvernance.

Une université qui ne remplirait plus ces critères d’excellence se verrait retirer son capital notionnel.

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Schéma du système de financement des universités

Je suggère la proposition suivante dans le rapport :

« Notre Commission estime qu’en quelques années, la France devrait doter son système d’enseignement supérieur et de recherche de 50 Milliards d’euros en capital. Une dotation de 50 Md€ mettrait enfin les établissements d’enseignement supérieur et de recherche au niveau notamment des grandes universités américaines.

« Le standard mondial des meilleures universités repose sur le tryptique ‘autonomie’, ‘règles d’excellence et de concurrence dans l’attribution des crédits et dans la gouvernance’, ‘dotations en capital’.

Si les universités françaises ne sont pas dotées en capital, elles seront entravées dans la concurrence scientifique internationale.

« 50 Md€ peut paraître énorme, mais seuls les revenus financiers de ces dotations seraient consacrés à l’enseignement supérieur / recherche, soit de 1,5Md€ à 3Md€ par an. Ce capital ne seraient ainsi pas du tout consommé, rassurant à la fois la Nation, les générations futures, nos partenaires européens et nos créanciers sur le fait que cette partie du Grand Emprunt demeurera toujours intacte et pleinement à l’actif de l’État. Ce capital pourrait toujours être revendu, soit en cas de crise, soit si une majorité future estimait que la priorité d’alors ne serait plus le financement d’universités de rang mondial.

« En pratique, le Trésor (ou, de préférence, la Banque de France) gérerait financièrement cette somme, avec appels d’offre après décisions stratégiques d’allocations d’actifs, selon les meilleures pratiques et critères du marché, en diversifiant les risques. Ainsi, les universités ne géreraient pas cet argent, car ce n’est pas leur avantage comparatif. Chaque récipiendaire recevrait une partie notionnelle de ce capital et les revenus bien réels qui en découlent. L’attribution de ce capital notionnel ne serait pas définitive, mais soumise à revue pluri-annuelle.

« Cette attribution des revenus du capital se ferait selon les meilleurs principes d’excellence et de gouvernance. Il ne s’agit pas de reconstruire une nouvelle administration de la Recherche, mais d’attribuer les fonds aux universités en fonction du jugement des pairs (en prenant les meilleurs), selon des procédures simples, légères et rapides. Plutôt que de multiplier les contrôles bureaucratiques, il vaut mieux se fier au jugement des meilleurs chercheurs internationaux de chaque discipline (ou de ceux qu’ils auraient désignés).

« Une université qui ne remplirait plus ces critères d’excellence se verrait retirer son capital notionnel.

« Une évaluation de ces procédures d’allocation doit se faire ex post, en y consacrant [0,1]% du capital géré.

« 50 Md€ est-ce trop ? Si l’État ne sent pas capable de lever autant de dette (parce qu’il penserait que sa crédibilité budgétaire en serait réduite), alors ce devrait être moins. Combien ? La réponse à la cette question n’est pas du ressort de notre Commission, mais du Gouvernement et du Parlement à qui il revient d’apprécier la situation budgétaire d’ensemble ainsi que la dynamique de notre dette publique.

3. Annexe : dotations des universités US, 2009
Source : National Association of College and University Business Officers

| |Endowment(2007) billion USD| Endowment (2008) billion USD|Somme De 1 à N|Rang|
|Harvard University|34.635|36.556|36.6|1|
|Yale University|22.53|22.87|59.4|2|
|Stanford University|17.165|17.2|76.6|3|
|Princeton University|15.787|16.349|93.0|4|
|University of Texas System |15.614|16.111|109.1|5|
|Massachusetts Institute of Technology|9.98|10.069|119.2|6|
|University of Michigan|7.09|7.572|126.7|7|
|Northwestern University|6.503|7.244|134.0|8|
|Columbia University|7.15|7.147|141.1|9|
|Texas A&M University System |6.59|6.659|147.8|10|
|University of Chicago|6.204|6.632|154.4|11|
|University of Pennsylvania|6.635|6.233|160.6|12|
|University of Notre Dame|5.977|6.226|166.9|13|
|University of California (system-wide)|6.439|6.217|173.1|14|
|Duke University|5.91|6.124|179.2|15|
|Emory University|5.562|5.473|184.7|16|
|Cornell University|5.425|5.385|190.1|17|
|Washington University in St. Louis|5.658|5.35|195.4|18|
|Rice University|4.67|4.61|200.0|19|
|University of Virginia|4.37|4.573|204.6|20|
|Dartmouth College|3.76|3.66|208.3|21|
|University of Southern California|3.715|3.589|211.8|22|
|Vanderbilt University|3.487|3.524|215.4|23|
|University of Minnesota|2.804|2.751|218.1|24|
|Brown University|2.781|2.747|220.9|25|
|Johns Hopkins University|2.8|2.525|223.4|26|
|New York University|2.162|2.475|225.9|27|
|Univ of North Carolina at Chapel Hill|2.164|2.359|228.2|28|
|University of Pittsburgh|2.254|2.334|230.6|29|
|University of Washington|2.184|2.262|232.8|30|
|Ohio State University|2.338|2.076|234.9|31|
|Rockefeller University|2.144|2.021|236.9|32|
|California Institute of Technology|1.86|1.892|238.8|33|
|Williams College|1.892|1.808|240.6|34|
|Pomona College|1.761|1.794|242.4|35|
|Case Western Reserve University|1.841|1.766|244.2|36|
|Purdue University (system-wide)|1.787|1.736|245.9|37|
|University of Wisconsin–Madison|1.645|1.735|247.7|38|
|University of Rochester|1.726|1.731|249.4|39|
|Amherst College|1.662|1.705|251.1|40|
|University of Richmond|1.655|1.704|252.8|41|
|Boston College|1.67|1.631|254.4|42|
|Wellesley College|1.657|1.611|256.0|43|
|Indiana University (system-wide)|1.557|1.546|257.6|44|
|Pennsylvania State University|1.59|1.545|259.1|45|
|Grinnell College|1.718|1.472|260.6|46|
|University of Illinois (system-wide)|1.515|1.46|262.1|47|
|Tufts University|1.452|1.446|263.5|48|
|Swarthmore College|1.441|1.413|264.9|49|
|Southern Methodist University(SMU)|1.328|1.368|266.3|50|
|Smith College|1.361|1.366|267.7|51|
|Yeshiva University|1.41|1.345|269.0|52|
|Georgia Institute of Technology|1.281|1.344|270.3|53|
|University of Delaware|1.397|1.34|271.7|54|
|Michigan State University|1.248|1.282|273.0|55|
|Texas Christian University|1.187|1.26|274.2|56|
|George Washington University|1.147|1.256|275.5|57|
|Wake Forest University|1.249|1.254|276.7|58|
|Univ of Florida (UF Foundation only)|1.219|1.251|278.0|59|
|University of Nebraska (system-wide)|1.277|1.221|279.2|60|
|University of Kansas (system-wide)|1.239|1.218|280.4|61|
|University of Oklahoma|1.114|1.155|281.6|62|
|Boston University|1.101|1.145|282.7|63|
|Lehigh University|1.086|1.127|283.9|64|
|University of Cincinnati|1.185|1.099|284.9|65|
|Baylor College of Medicine|1.278|1.091|286.0|66|
|Carnegie Mellon University|1.116|1.068|287.1|67|
|Baylor University|1.278|1.06|288.2|68|
|Georgetown University|1.059|1.059|289.2|69|
|UCLA|0.975|1.054|290.3|70|
|Tulane University|1.009|1.036|291.3|71|
|Trinity University (Texas)|0.931|1.035|292.4|72|
|University of Missouri (system-wide)|1.098|1.025|293.4|73|
|Berea College|1.102|1.023|294.4|74|
|Princeton Theological Seminary|1.109|1.018|295.4|75|
|Syracuse University|1.086|0.985|296.4|76|

Jacques Delpla

[1] On notera que la Californie, avec une population (38 Mn vs 62 mn) et un PIB inférieur à celui de la France (1847 Md$ vs 1900 Md€) a beaucoup plus d’universités de rang international que la France. D’après le classement de Shangaï 2009 (même s’il est très contesté…), parmi les 50 premières universités, on en compte 10 en Californie, contre 2 en France.

[2] Source NATIONAL ASSOCIATION OF COLLEGE AND UNIVERSITY BUSINESS OFFICERS

[3] Certes il faut rajouter à l’INSERM, le dépt des sciences du vivant du CNRS et celui du CEA…

[4] Le choix de la Banque de France serait astucieux à plusieurs titres : 1) La BdF a une meilleure expérience de gestion d’actifs sur les marchés (gestion des réserves de changes et de l’or) que le Trésor, qui gère soit des passifs, soit des participations dans entreprises publiques, qui ressortissent à la gestion de holding et non à la gestion de marché. 2) il rassurerait les marchés pour qui la BdF est une institution respectable, prudente et conservatrice financièrement.

[5] Le FRR, seul, a fait récemment de très mauvaises allocations stratégiques d’actifs en réduisant son exposition aux actions au T1 2009, au plus bas du marché !