mercredi 30 décembre 2009

M. Sarkozy tranche pour un emprunt à 22 milliards d'euros

Le Monde, 14 décembre 2009

Attendu sur sa politique de sortie de crise, Nicolas Sarkozy a choisi un exercice qu'il n'affectionne guère – une conférence de presse, la deuxième de son quinquennat – pour en dévoiler les grandes lignes et rendre publics ses arbitrages sur l'emprunt et le financement des priorités d'avenir.

Comme les dernières semaines le laissaient présager, le chef de l'Etat a choisi de suivre, pour l'essentiel, les recommandations de la commission Juppé-Rocard, dont il a salué le travail, et de donner aux marchés, aux agences de notation et à la Commission européenne des signes de sa volonté de redresser les finances publiques.

L'Etat investira donc 35 milliards d'euros – dont 22 milliards seront levés sur les seuls marchés – dans cinq, et non plus sept, priorités d'avenir: enseignement supérieur et formation, recherche, industrie et PME, numérique et développement durable. Le volet industriel du plan d'investissement a été musclé et sera articulé avec les Etats généraux de l'industrie.

LE BAS DE LA FOURCHETTE

Le suivi du dispositif est confié à un commissaire général à l'investissement placé sous l'autorité du premier ministre. Ce poste a été proposé à René Ricol, qui fut le premier médiateur du crédit. Enfin, pour respecter l'engagement du gouvernement d'une "parité absolue des efforts de recherche entre le nucléaire et les énergies renouvelables", le CEA va devenir le Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives.

Les 35 milliards d'investissement de l'Etat comportent les 13 milliards déjà remboursés par les banques. L'Etat n'aura qu'à emprunter 22 milliards. Soit le bas de la fourchette évoquée par le chef de l'Etat.

Le message adressé aux marchés et à l'Union européenne est clair: le président a donné raison dans son entourage à tous ceux qui s'inquiétaient de l'état des finances publiques et plaidaient pour une opération d'ampleur bien plus limitée que les 100 milliards un temps rêvés par Henri Guaino. Le premier ministre, François Fillon, et les deux colocataires de Bercy, Christine Lagarde (économie) et Eric Woerth (budget), ont obtenu gain de cause sur toute la ligne.

"MOINS DE DÉPENSES COURANTES"

L'emprunt, levé sur les marchés et non souscrit auprès des particuliers – "solliciter le public à hauteur de 10 milliards nous aurait coûté un milliard de plus", a précisé le chef de l'Etat dans son discours introductif – devrait être relativement anodin à financer. L'Agence France-Trésor étant en train d'effectuer des rachats de titres arrivant à échéance en 2010 pour une dizaine de milliards, ce sont en réalité un peu moins de dix milliards supplémentaires qui devront être levés. Une telle opération n'est pas de nature à menacer la qualité de signature de la France ni sa capacité à emprunter. La durée de vie moyenne de la dette (six ans et sept mois) n'a pas bougé et le risque de remontée des taux apparaît pour l'heure limité.

Dans la seconde partie de son intervention préliminaire, Nicolas Sarkozy est longuement revenu sur la compatibilité de l'emprunt avec la stratégie globale de rétablissement des comptes publics. Il a aussi indiqué, comme le souhaitait M.Woerth, que "les intérêts de l'emprunt seront immédiatement gagés par des économies supplémentaires sur les dépenses courantes de l'Etat". "Plus d'investissements d'avenir, moins de dépenses courantes: c'est notre ligne d'action", a-t-il affirmé. "La solution n'est pas d'augmenter les impôts. Il faut donc dépenser moins et dépenser mieux", a-t-il ajouté, en rappelant la tenue, en janvier, d'une conférence sur le déficit de la France qui réunira les représentants de l'Etat, la Sécurité sociale et les associations d'élus locaux.
Le chef de l'Etat a également exprimé le souhait qu'un débat ait lieu en France, comme il a eu lieu en Allemagne, sur la nécessité de se doter de règles budgétaires contraignantes pour revenir à l'équilibre des comptes publics.

S'il est félicité de la résistance de l'économie française dans la crise, le chef de l'Etat n'en a pas moins souligné les difficultés du moment. "La situation reste très difficile pour nos concitoyens: les destructions d'emplois se poursuivent, le chômage touche beaucoup de famille", a-t-il insisté, sans dissimuler certaines de nos faiblesses.

60 MILLIARDS D'INVESTISSEMENTS AU TOTAL

La France, a-t-il ainsi relevé, a sacrifié l'investissement, alors que c'est de lui que "naît le progrès technique, moteur de la croissance", et elle a vu sa compétitivité s'éroder. Pour qu'elle "puisse profiter pleinement de la reprise, pour qu'elle soit plus forte, plus compétitive, pour qu'elle crée plus d'emplois", 35 milliards seront donc mobilisés par l'Etat pour financer cinq priorités d'avenir.

Par effet de levier vis-à-vis des financements privés, locaux et européens, le président en espère 60 milliards d'investissements au total. Soit un montant global supérieur à celui du plan de relance (39,1 milliards en 2009 et 7,1 milliards en 2010). L'effort de soutien à l'économie est poursuivi en 2010: il apparaît d'autant plus nécessaire que la sortie de crise est incertaine.

L'accent est donc mis sur tout ce qui pourra relever la croissance potentielle de la France, en particulier la recherche et l'innovation. Onze milliards seront consacrés à l'enseignement supérieur et à la formation, dont huit serviront à "faire émerger cinq à dix campus d'excellence ayant les moyens, la taille critique et les liens avec les entreprises qui leur permettront de rivaliser avec les meilleurs universités mondiales". Un système de dotation permettra aussi aux universités de disposer de ressources pérennes non soumises aux aléas des arbitrages budgétaires.

"PRÉPARER L'AVENIR"

L'Etat investira aussi 500 millions dans la rénovation les centres de formation, le développement de l'apprentissage et la création d'internats d'excellence. En matière de recherche (8 milliards), deux priorités sont avancées: une politique de valorisation visant à "amener les travaux de nos laboratoires vers les applications industrielles" (3,5 milliards) et la santé et les biotechnologies (2,5 milliards).

Quelque 6,5 milliards serviront à soutenir l'industrie et les PME, qu'il s'agisse d'aider "nos filières d'excellence à préparer l'avenir" – en particulier l'aéronautique, le spatial, l'automobile, mais aussi le ferroviaire et la construction navale – ou d'aider à l'émergence d'une nouvelle politique industrielle. Le développement durable bénéficiera de 5 milliards supplémentaires en plus de ce qui est déjà prévu dans le cadre du Grenelle de l'environnement.

Enfin, 4,5 milliards serviront à accélérer le passage à l'économie numérique, avec un plan "comparable à l'effort que fit notre pays dans les années 1970 pour le téléphone", et qui sera présenté par le gouvernement "dans les prochains jours". "Je souhaite que ces priorités d'avenir, nous les partagions avec nos partenaires européens pour qu'elles constituent notre contribution à une nouvelle stratégie de croissance européenne après la crise", a conclu le chef de l'Etat.

Claire Guélaud