samedi 23 mai 2009

Plaidoyer pour refonder l'université

Plaidoyer pour refonder l'université, le Monde, 23 mai 2009

"L'université en crise. Mort ou résurrection ?", interroge la Revue du Mauss (Mouvement anti-utilitariste en sciences sociales). Ce titre n'est pas une simple dramaturgie. Il reflète la crainte réelle qu'à l'issue de seize semaines de mouvement de grève des enseignants-chercheurs le pronostic vital de l'université soit engagé. Qu'on ne s'y trompe pas, les vingt-huit articles ne composent pas l'énième point sur le sujet, mais s'invitent dans le débat pour tenter de définir ce qu'est l'université, de comprendre les dérives qui la menacent et d'esquisser les solutions qui peuvent lui permettre d'éviter une lente agonie.

Au rang des définitions, Drew Gilpin Faust, première présidente de la prestigieuse Harvard University, avait estimé en 2007 que "l'essence de l'université est qu'elle est responsable envers le passé et l'avenir d'une manière qui peut (doit) entrer en conflit avec les demandes du moment".

Mais sauvera-t-on l'enseignement supérieur en sauvant l'université, ou bien faut-il laisser périr l'université pour sauver l'enseignement supérieur français ? Il faut oser aborder le problème aussi ouvertement dans une France qui aime ses grandes écoles et leur confie la formation de ses élites. Mais la Revue du Mauss choisit de confronter des regards et des approches. L'entretien avec Henry Mintzberg, professeur à McGill à Montréal, qui estime que "les business schools sont en train de détruire la pratique du management en prétendant que les manageurs sont des professionnels", donne le "la", alors que les écoles de commerce voient pourtant leurs effectifs grossir d'année en année, et que le taux d'inscription en première année d'université est tombé de 44 % à 34 % entre 1997 et 2007, comme l'observe le sociologue François Vatin.

La question déborde d'ailleurs le seul cadre des grandes écoles pour laisser, d'un côté, l'université et, de l'autre, un très large système sélectif, public ou privé, de plus en plus prisé. Cette approche du débat a été un peu oubliée au fil des semaines du mouvement, mais la mise en concurrence de l'université la prive des meilleurs bacheliers. Point crucial lorsqu'il s'agit de penser une refondation et non plus de polémiquer sur l'autonomie.

La partie consacrée à ce sujet montre d'ailleurs que, là aussi, la revue n'a pas envie de tourner en rond. Si elle reprend de Bruno Latour, directeur scientifique de Science Po, son plaidoyer pour la "liberté de recherche qui ne va pas sans une liberté de s'organiser", auquel l'article signé de l'économiste Thomas Piketty répond par un tonitruant "autonomie des universités : l'imposture", la nouveauté réside dans l'intervention à quatre mains de Catherine Paradeise et Yves Lichtenberger. Les deux sociologues en appellent dans ces pages à la "capacité des acteurs à s'entendre pour partager des objectifs, créant de fait une identité et une culture d'établissement". Une démarche qu'Alain Caillé, le directeur de la publication, aimerait voir s'élargir à une communauté universitaire plus large qui aurait envie de prendre en charge son destin. C'est d'ailleurs dans cet espoir qu'il est à l'initiative, avec François Vatin, d'un manifeste pour refonder l'université publié dans Le Monde du 16 mai, qui circule aujourd'hui sur Internet.

Ce manifeste est né de l'article de la revue intitulé "Onze modestes propositions de réforme de l'université" et écrit par les deux sociologues. Quelques pages qui rebattent les cartes, de "la réforme des cursus", à la "réorganisation des disciplines" en passant par le "statut des universités".

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"L'Université en crise, Revue du Mauss, Editions La Découverte, 382 pages, 25 €

Maryline Baumard