dimanche 22 mars 2009

Enseignants-chercheurs, du déclassement à la radicalisation chronique

Enseignants-chercheurs, du déclassement à la radicalisation
chronique


par LAURENT VERON, Professeur à l'Université de Tours
21 mars 2009, Chroniques d'abonnés, lemonde.fr

La révolte d'une partie des enseignants-chercheurs opposés à une modification importante de leur statut est symptomatique de leurs appréhensions face à l'inconnu que représente un nouveau modèle de fonctionnement où l'évaluation individuelle sera la règle. Ce qui est surprenant, c'est l'apparition d'une forme plus radicale de contestation, radicalisation certes très minoritaire, mais appuyée par des décisions de quelques présidents d'universités.

Le nombre d'enseignants-chercheurs a doublé depuis 1981, atteignant maintenant 57000. Mais tandis que leur nombre augmentait, leur position sociale se dégradait. Commencer une carrière avec moins de 2000 euros par mois après dix ans d'études et la terminer avec 5000 euros pour la minorité des professeurs les plus reconnus, ne situe pas les bénéficiaires de cette manne au sommet de l'échelle sociale, surtout dans une société où l'argent est considéré comme le signe extérieur de la réussite. En outre l'hétérogénéité accrue du public étudiant ne participe pas à l'amélioration de l'idée qu'ils peuvent se faire de leur mission enseignante. Il est symptomatique de constater que les facultés de médecine ne sont pas touchées par les mouvements actuels : les étudiants y sont sélectionnés et les hospitalo-universitaires qui y enseignent cumulent salaires de médecins et d'enseignants. Ce constat vaut aussi pour les grandes écoles.

Tant que la société percevait avec respect cette catégorie d'intellectuels dévoués au Progrès, leur reconnaissance morale allait de paire avec leur abnégation. Mais au fur et à mesure du désintérêt de l'opinion pour la Science, les dures réalités économiques ont fini par s'imposer. Par comparaison avec d'autres pays développés et à niveau égal de responsabilité, les universitaires français sont moins rémunérés qu'en Allemagne ou en Angleterre et beaucoup moins qu' au Canada ou aux Etats-Unis. Ils ne disposent pas non plus de l'aide en secrétariat, apanage naturel leurs collègues étrangers. Ils bénéficient par contre d'un énorme avantage : ils sont titulaires de leur poste. Conséquence de cette protection, une part importante d'entre eux décroche de la recherche, se contente d'assurer les heures d'enseignement statutaires, voire se livre à d'autres activités lucratives.

Ni l'avancement de la Recherche, ni l'encadrement des étudiants, ni les comptes de l'État, ne justifient qu'ils bénéficient de cette sinécure comparée à l'horaire double des professeurs agrégés en milieu universitaire. Cette sécurité une fois rangée au rang des immuables avantages acquis, le sentiment de déclassement transparaît clairement dans les enquêtes.

Le rapport International comparison of academic salaries publié en 2008, analyse les revenus des universitaires dans quinze pays, depuis les plus développés jusqu'à l'Inde. Signe caractéristique de la place que la société alloue aux universitaires, le rapport entre leur salaire et le salaire moyen dans le pays: il va de 8,73 pour l'Inde à 1,58 pour la France, bonne dernière. Les gouvernements depuis 1981 portent la lourde responsabilité d'avoir gonflé au-delà des nécessités d'encadrement des étudiants et de développement de la recherche ce corps de fonctionnaires sans s'en donner tous les moyens budgétaires.

En sciences, la tradition égalitariste française est de mettre en avant la notion d'équipe, voire d'institution au détriment de l'individu : qu'un prix Nobel soit attribué et c'est la totalité de l'organisme de recherche qui s'en attribue le mérite. D'où la nécessité, jusqu'alors admise, de conforter ces immenses structures que sont l'INSERM ou CNRS. L'émergence de nouvelles nations scientifiques, en Asie ou en Amérique latine en particulier, a mis en évidence l'obsolescence de ce modèle et donné raison à un modèle dit nord-américain. En 2007, la France a entrepris une modernisation profonde de son appareil de recherche. La création de l'Agence Nationale de la Recherche, l'ANR, a pour objectif de promouvoir une logique scientifique basée sur la notion de projet et de résultats. La création d'instituts très autonomes au CNRS en remplacement des départements scientifiques va permettre une plus grande réactivité sans pour autant obérer la recherche à long terme. Enfin, la loi universitaire de 2007 qui octroie des pouvoirs considérables aux présidents d'université en leur donnant les moyens de gérer une autonomie universitaire est la clef de voûte de ce dispositif. Pour s'appliquer, la Loi LRU nécessite une modification profonde du statut des enseignants-chercheurs. C'est tout le débat qui agite ce milieu où se côtoient le dévouement, l'excellence scientifique, le conservatisme routinier et la médiocrité.

Si ces réformes arrivent à leur terme, aucun pouvoir politique ne les remettra en cause, pas plus qu'il ne remettrait en cause les réformes des retraites. Si reculade il devait y avoir, elle marquerait la fin de la période des réformes, et ce problème, comme tant d'autres, serait posé au président suivant.